De Philippe Metzger, Secrétaire général de l’association JNA et audioprothésiste
Pour beaucoup, la prothèse auditive est connue sous le nom de Sonotone. Sonotone a disparu car le secteur a vécu une grande révolution avec le passage au numérique. En 1900, le cornet acoustique est apparu, seul système pour amplifier le son. Graham Bell a réussi à intégrer un système électrique et il a inventé le microphone à charbon qui a donné lieu à la naissance du téléphone. Cette invention a également servi à la création des appareils auditifs. Les premiers appareils auditifs étaient donc constitués d’un boîtier avec une pile et d’un microphone à charbon. Cela permettait d’amplifier. Très rapidement, nous sommes passés à la lampe. L’appareil a alors intégré un ampli à lampes. C’était assez gros, cela permettait seulement d’amplifier et c’était dans le domaine de l’analogique. Ensuite, nous avons pu réduire la taille des appareils en passant à la technologie des transistors et aux circuits intégrés. Il devint alors possible de fabriquer des contours d’oreille et des intra-auriculaires. À l’époque de l’analogique, le métier des audioprothésistes était assez simple car seul un trimmer, un système à vis, existait pour régler le niveau de gains acoustiques et il y avait un filtre coupe-aigus et un filtre coupe-graves. On pouvait ainsi abaisser l’amplification des graves ou l’amplification des aigus. L’appareil était aussi constitué d’un limitateur de niveau de sortie.
Une chaîne de mesures permettait de vérifier que les réglages réalisés étaient à peu près corrects.
La bascule du numérique s’est opérée en 1997. Peu avant, nous commencions à utiliser des appareils à commande numérique. C’était encore des appareils analogiques mais la commande permettait d’affiner les réglages. Au lieu de 3 à 4 réglages, nous passions à une dizaine. Puis les premiers appareils numériques sont apparus. Cela a été, en même temps, la première intervention de la JNA.
Ce premier appareil numérique était de faible capacité mais au moins il permettait des avancées importantes grâce au traitement de signal. Grâce au traitement de signal, on peut faire autre chose que de l’amplification. On a pu, ainsi, différencier la parole et le bruit. On a pu, aussi, affiner le réglage d’intensité puisque à présent, les appareils auditifs sont dotés de plusieurs canaux. Dans chacun d’entre eux, on va pouvoir différencier le son faible du son fort pour améliorer le seuil de perception et ne pas atteindre le seuil d’inconfort quelle que soit la fréquence voulue. Désormais, nous avons un système anti-Larsen pour éviter d’avoir des sifflements. L’effet Larsen survient lorsqu’un son revient au niveau du microphone et qu’il se met à siffler. Ce qui était un gros problème à l’époque des systèmes analogiques. À l’époque, pour contrecarrer cet inconfort, on réalisait des lunettes auditives afin de séparer le microphone de l’écouteur. La stéréophonie était inexistante. L’anti-Larsen permit par les appareils numériques, correspond à un apport de confort pour le patient. Il est assez pointu puisqu’on peut augmenter de 20 dB sans effet Larsen. On utilise une technique de déphasage c’est-à-dire quand un son revient au microphone, il est réinjecté.
L'important, dans la prothèse auditive, c'est de comprendre son utilité. Elle sert à corriger une surdité et chaque surdité est spécifique.
Le système auditif est composé de l’oreille externe avec le pavillon et le conduit auditif, de l’oreille moyenne qui est un adaptateur d'impédance et amplificateur et de l’oreille interne. La majorité des surdités que l'on corrige proviennent de l'oreille interne. C'est de là que vient la problématique.
Souvent, l'entourage des malentendants nous dit : « Je ne comprends pas, mon papa ou ma maman a un appareil auditif. Ce n’est pas comme une paire de lunettes ? ». Or, c'est tout à fait différent puisque l'appareillage optique est une myopie, presbytie, ou autre, un peu comme si vous aviez une surdité de l'oreille moyenne. C'est une amplification qu'il faudrait donner.
Dans le domaine de l’audition, c'est une surdité de l'oreille interne, cela génère des distorsions, c'est comme si vous essayiez de mettre une paire de lunettes à quelqu'un qui a une dégénérescence maculaire et cela ne lui apporterait pas grand-chose finalement.
Au niveau de l'oreille interne, les petites cellules ciliées transforment l'énergie mécanique en stimuli électriques. Cela montre que notre problème est de faire travailler les cellules sensorielles restantes de manière à ce que l'influx nerveux soit équivalent à ce qu'il aurait été si les cellules ciliées avaient été en parfait état. On va avoir la même quantité d'énergie mais pas la même qualité. On dit qu'une perte auditive implique essentiellement une perte de qualité d’énergie.
Il existe 4 grands principes fondamentaux :
Une distorsion de l'intensité. Les gens vont entendre beaucoup moins fort et toute personne va vous dire : « Les gens doivent parler plus fort pour que j'entende ».
Distorsion de sélectivité fréquentielle. On a perdu la capacité à séparer la source des sons.
Le glissement fréquentiel : concrètement, les patients l’expriment par : « Je n'écoute plus mes anciens CD parce que c'est faux. J'ai l'impression que c'est joué un demi-ton au-dessus. Je n'ai plus d'émotion à les écouter ». C'est quelqu'un à qui vous allez dire : le mot à écouter est « cil » alors que vous avez dit « fil ».
Vous avez beau lui répéter 36 fois, ce qu'il entend est beaucoup plus proche du « F ».
Il faut mettre plus d'aigus pour ce sujet-là, d'intensité parce qu'il a un seuil d'inconfort, d'intolérance qui se rétrécit. L'appareillage auditif doit répondre à cette problématique-là, lui amplifier les sons forts mais pas trop de manière à ce qu'il n'atteigne pas le seuil d'inconfort.
La distorsion d'intensité est assez bien corrigée par les appareils numériques et elle l'était déjà à l’époque des appareils analogiques.
La distorsion fréquentielle : lorsque la cochlée fonctionne bien, il y a un filtre qui donne une émergence de la fréquence testée. Lorsque vous en testez une, vous en provoquez deux ou trois adjacentes. Le patient va vous dire : « Je n’entends pas deux kilos mais deux kilos cinq ». Le réglage est difficile à réaliser pour une personne qui va vouloir tester sur une perte d'aigus.
En effet, le glissement fréquentiel se rencontre toujours des plus graves vers les plus aigus. Toutes les surdités ne sont pas systématiquement caractérisées par un glissement fréquentiel. Les appareils pourraient corriger cela. La difficulté est que l'on ne connaît pas, a priori, la valeur du glissement fréquentiel. Est-ce que le patient en a ? Sur toutes les fréquences ou pas ?
Fort heureusement et c'est pour cette raison que l'implant cochléaire fonctionne, le signal auditif se fait au niveau des relais, au niveau du système central. Il se fait faiblement au niveau de l'oreille. Finalement c'est notre chance, une perte d'acuité auditive est corrigeable, même une perte neurosensorielle parce que le niveau du signal est supérieur alors que pour d’autres sens ce n’est pas forcément le cas. Par exemple, quelqu'un qui a une rétinopathie, vous avez beau essayer de stimuler la rétine, vous aurez une image qui fera aujourd'hui, les implants rétiniens vous donnent une forme, c'est un carré, un rond, c'est tout.
Alors que très rapidement, quand on a stimulé la cochlée électriquement on a tout de suite une réponse sonore. La grande chance de l'audioprothèse, c'est que le traitement du signal n’est pas tellement endocochléaire mais au niveau des cortex.
La technologie permet de proposer des appareils de plus en plus petits parce que les microprocesseurs sont miniaturisés et aussi intégrés dans les intra-auriculaires. Ces appareils ne sont pas adaptés à tous, mais cela permet d’offrir des équipements discrets pour les petits conduits auditifs.
Il existe, également, des appareils en pose semi-permanente que vous gardez deux à trois mois. Ils ne se voient pas. Ils sont positionnés près du tympan. Ils sont conseillés lorsque le patient a peu besoin de traitement de signal.
La majorité des appareils sont, aujourd’hui, représentés par des appareils à écouteurs déportés, une partie est dans l'oreille et l'autre dehors. Les contours d’oreille, bien qu’anciens par leur forme, intègrent aussi les dernières technologies.
Aujourd’hui, les appareils sont en capacité d’agir sur l'extérieur, de communiquer avec l'extérieur. Ils sont dotés d’un petit amplificateur, qui permet de communiquer avec l'iPhone ou le Smartphone. Une puce traite le signal et une puce va émettre en Bluetooth et en wifi. Il est désormais possible de se connecter à un réseau. Nous en sommes aux balbutiements.
Les applications, au quotidien, existent déjà : quand le niveau des piles est faible, un est directement envoyé sur le téléphone des parents : “La pile de votre enfant faiblit”. On a, aujourd'hui, des sonnettes de porte connectées qui peuvent envoyer un signal directement dans l'appareil.
Peut-être que le réglage des appareils auditifs pourra se réaliser grâce à ce système connecté.
Enfin, il est important de rappeler que l’appareil auditif est un merveilleux outil mais il reste un outil. Il s’agit d’un matériel médical accessible sur prescription. Pour apporter le plus grand confort et être efficace dans son rôle de compensation, l'appareil sera réglé tout au long de la vie et adapté à l'accoutumance du patient et à l'augmentation de sa perte auditive.